L'art d'Edward Hopper incarne “le meilleur de la tradition américaine”, disait Jo, la femme du peintre. Pourtant, quand on entre dans le cadre, lumière, attitudes, composition, c'est l'insolite qui frappe. Voir aussi le portfolio interactif Zoom sur l’œuvre d’Edward Hopper » Compartiment C, voiture 293 est un tableau magnifique. Beaucoup de tableaux du peintre américain Edward Hopper sont magnifiques, mais celui-là l'est particulièrement. C'est un tableau vert. Josephine dite Jo, la femme d'Edward dit Ed, l'appelait d'ailleurs ainsi, le tableau vert ». Il montre une femme blonde, élégante, vêtue d'une robe de couleur prune quetsche. Elle est assise dans le compartiment d'un train. Les murs et le mobilier du compartiment sont verts. Seul l'appuie-tête est blanc, à sa base violacé. La femme lit. La plupart des commentateurs la voient lire un magazine, mais il faut toujours se méfier de ce que Hopper fait lire aux femmes. Dans Chambre d'hôtel, par exemple, peint en 1931, une jeune femme dévêtue, assise sur un lit, paraît absorbée par la lecture d'un roman. Or elle tient dans ses mains un indicateur de chemins de fer ». On le sait parce que Jo l'a noté dans le registre où, une fois un tableau achevé, Ed dessine l'œuvre à l'encre noire que Jo, ensuite, de son écriture ronde décrit. Jo est un personnage. Edward Hopper l'a épousée en 1924 – il avait 36 ans et Jo s'appelait alors Josephine Verstille Nivison. Elle est peintre. Ed ne la quittera jamais. Mais Ed n'est pas le genre à quitter. En 1913, il s'installe à Washington Square, à New York, dans un appartement-atelier duquel, malgré le succès et la fortune, il ne déménagera jamais – il y mourra en 1967. En 1924, il montre ses aquarelles dans la galerie Frank Rehn, qui lui organise sa première exposition personnelle et où il restera toute sa vie. Quant à Jo, jalouse comme une tigresse, elle sera son seul modèle féminin. Hopper est un homme fidèle. Jo, elle, est une emmerdeuse. Elle s'est sacrifiée » pour Ed, dit-elle, lui a laissé l'atelier, et ne cesse de le lui reprocher. En 1946, elle commence même une grève de la faim pour protester contre l'indifférence d'Ed et du Whitney Museum pour son œuvre. Frank Rehn réglera le problème par un petit accrochage dans sa galerie. Le photographe Arnold Newman raconte que le couple ne cessait de se disputer. Quand il voulait photographier Ed, Jo venait sans cesse se placer dans le champ. Etre dans la plupart des tableaux de Hopper ne lui suffisait donc pas. Puis il a compris que c'était leur façon de fonctionner. Jo admirait Ed. Dans son journal, elle écrit L'art de E. Hopper est tellement fondamental que l'on peut le comparer à Abraham Lincoln ou George Washington pour représenter le meilleur de la tradition américaine. » Il est probable qu'Ed devait aimer l'admiration que Jo lui portait. Elle tenait avec application ses registres. Elle l'accompagnait partout. Ils apprenaient l'espagnol ensemble. Et se fâcher continuellement avec elle devait l'arranger en lui réservant les longues plages de silence et de solitude dont il avait besoin. Hopper est un taiseux. Pour savoir à quoi ressemblait Jo en 1938, il suffit de regarder la femme à la robe sombre dans le compartiment vert. C'est elle qui lit. Les femmes lisent souvent dans les tableaux de Hopper. Ou elles pensent. Ou elles rêvent. Elles sont parfois dénudées. Elles ne correspondent pas à l'image de la ménagère américaine. C'est peut-être pourquoi les femmes aiment beaucoup la peinture de Hopper il les émancipe. Il ne les couvre pas de bijoux – Ed les détestait – mais les rend sexy. C'est une manière héritée de Courbet Les Demoiselles du bord de Seine, 1856 dont Hopper a admiré la peinture lors de ses trois voyages en Europe principalement à Paris entre 1906 et 1910. C'est pourquoi sa Jo Portrait de Jo, 1936 ressemble tant à l'autre Jo Joanna Hiffernan, peinte par Courbet en 1865. Donc Jo lit. Hopper la vêt d'une robe stricte, la dote d'une forte poitrine, et dévoile légèrement le genou. On parle souvent de la Maison près de la voie ferrée 1925 comme modèle pour la maison de Psychose 1960 d'Alfred Hitchcock, mais il semble bien que le principal point commun entre le peintre et le cinéaste qui adorait Hopper soit cette figure de femme ambiguë, à la fois sage et sexuelle. Si l'on se reporte au registre, Jo écrit que la femme lit le New Yorker, que sa robe est en jersey de laine violet », et qu'à ses côtés est posé le magazine Reader's Digest. Ed ajoute de son écriture fine et nerveuse Toile belge, couleurs Rembrandt, blanc de plomb, huile de lin. » Et puis il y a ce vert, un certain vert, somptueux, mélange d'oxyde de chrome et de cadmium », écrit Jo. Un vert impossible à trouver sur le mur d'un compartiment d'un wagon de chemin de fer américain, aussi impossible que la hauteur du plafond de ce compartiment, l'éclairage on y reviendra ou le paysage crépusculaire entraperçu par la fenêtre. C'est le côté étrange de Hopper. Le tableau paraît réaliste, mais quand on en regarde les détails, tout devient bizarre. Les gens sont souvent seuls, leurs attitudes, insolites, les rues, désertes, les pièces, vides, les paysages, inhabités, les points de vue, décalés, les lumières, artificielles... On n'y retrouve pas les signes caricaturaux des Etats-Unis peu ou pas de voitures, pas de gratte-ciel, pas de grands espaces, pas de signes religieux, pas d'excitation, pas de foule, pas d'hystérie... Et pourtant, rien ne nous paraît plus américain qu'un tableau de Hopper, au point que de nombreux cinéastes, de Robert Siodmak Les Tueurs, 1946 à Wim Wenders The End of violence, 1997 et David Lynch Mulholland Drive, 2001, s'en sont inspirés. Hopper peint une Amérique sans fard. Elle ressemble à ses femmes, stricte, engoncée dans une morale rigide mais ambivalente, à la fois froide et libidinale. Une assemblée de solitaires la compose, portant la sourde mélancolie d'un lointain déracinement. Hopper adorait donc l'Amérique sans tendresse excessive. Nos traits nationaux peuvent être si simplistes et étriqués qu'ils en paraissent puérils à des peuples plus subtils et plus raffinés », écrivait-il. L'un de ces peuples trouve une grâce particulière à ses yeux le peuple français. De ses séjours parisiens, Ed gardera toujours un amour pour la culture française, pour sa peinture bien sûr, au premier rang de laquelle figurent Courbet, Degas et les impressionnistes, mais aussi pour sa littérature et sa poésie. Il récitait par cœur Verlaine et Rimbaud. Il lisait Mallarmé et Montaigne. Pourtant le même homme, en 1927, écrit L'art américain devrait être sevré de sa mère française. » L'art américain, en 1927, qu'est-ce que c'est que ça ? C'est une idée obsédante – elle obsédera vingt ans plus tard Robert Rauschenberg. Hopper rêve d'un art américain autonome, cessant d'être une pâle copie de l'art européen. A la modernité européenne Picasso n'a qu'un an de moins que lui, il oppose, bien que nourrie par la peinture française, sa vision américaine. En 1934, dans une interview au magazine Time, il devient plus catégorique La spécificité américaine d'un peintre est innée – il n'a nullement besoin de la rechercher. » Autrement dit il suffit de ne plus copier l'Europe, d'être soi-même, et le reste suivra. Reste à savoir en quoi consiste cette spécificité américaine ». Il ne faut pas la confondre avec le regard ironique que pose Hopper sur l'Amérique, cet univers beckettien où les êtres semblent attendre quelque chose qui n'arrivera jamais – le rêve américain ? Parlant de l'œil de son confrère John Sloan 1871-1951, très influencé par l'art français, Hopper emploie le mot frais ». Derrière le compliment s'entend un autre mot naïf. L'art venant d'Amérique est entaché de naïveté, pense Hopper. Aussi décide-t-il, porté par sa passion pour le théâtre et son organisation visuelle à New York, Jo et Ed voient toutes les pièces qui se montent, qu'elles soient classiques ou contemporaines comme celles d'Ibsen, aussi décide-t-il de jouer avec cette naïveté. C'est d'abord une affaire de composition où le peintre excelle donner l'illusion de la simplicité. Rien de plus évident que la femme lisant dans le compartiment vert – et l'exactitude du titre, Compartiment C, voiture 293, semble le confirmer. Or, dans la réalité, la voiture 293 n'existe pas – pas plus que n'existent le vert, ce type de compartiment, le paysage crépusculaire et la lumière. D'ailleurs, cette lumière, d'où vient-elle ? La lampe est éteinte. Les ombres suggèrent qu'elle provient du couloir, mais comment le couloir d'un train à la tombée de la nuit peut-il projeter sur une femme une lumière solaire d'une telle crudité ? Voilà donc l'étrangeté posée. Quelque chose d'artistiquement impur vient troubler ce qu'un regard hâtif prendrait pour du classicisme – mais classique, Hopper l'est aussi par ses dessins préparatoires, ses esquisses, ses études de mouvement, sa touche. Une lumière merveilleuse inonde le compartiment alors que le paysage fantomatique, avec sa route blafarde » sous un pont blanchâtre » les précisions sont de Jo, semble un mauvais présage. Où va cette femme, vers le bonheur ou le malheur ? Quelle est la nature du calme absolu régnant sur les magnifiques paysages désertés Collines au sud de Truro, 1930 ? Où est-on dans un tableau de Hopper dans une comédie ou une tragédie ? Ainsi se définit la spécificité américaine » par l'ambiguïté et le décalage, ce que l'on retrouvera chez Rothko abstraction ou paysage ?, Rauschenberg sculpture ou peinture ? ou, plus récemment, Christopher Wools peinture, photographie ou imprimerie ?. Hopper en est le précurseur. Je suis probablement un solitaire », disait-il. Et probablement l'inventeur de l'art américain. Edward Hopper », exposition du 10 octobre 2012 au 28 janvier 2012 aux Galeries nationales du Grand Palais, Paris 8e. Etats-Unis grand palais Edward Hopper Partager Contribuer
5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 0857 La Maison de HOPPER 1882-1967 inspira celle d' HITCHCOCK pour son film de 1960 "PSYCHOSE" Partager cet article commentaires H Elle me fait un peu penser à cette maison qui inspira Edgar POE Déf ,va me trouver totalement "hantée " ,tant pis !!!!!! Répondre A Ce tableau me rappelle le film dessin animé "les triplettes de Belleville". Tu connais? Répondre S sixfrancs 21 07/01/2011 1539 Je ne connaissais pas ce film d'animation, mais d'après les videos que donne google, ça semble trois fois bien .. D Déficience Mentale 05/01/2011 1942 Je préfère tout de même les deux précédents tableaux de femme, plus intimes... bonne soirée ! Répondre S sixfrancs 21 06/01/2011 1425 Mais "la maison" est un tableau très connu ... A un symbole Répondre
Noubliez pas de prendre en photos vos réalisations et de nous les partager sur Facebook ou sur centresocial@mairie-athis-mons.fr. Bonnes créations, L’équipe du Centre Social Éclaté PAYSAGES URBAINS : LE STYLE EDWARD HOPPER ATELIER TUTO 14 JAN. 2021 SYLVIE POISSON DESSAUT LE PAYSAGE URBAIN Pour des raisons de droits de reproduction d’images, les photos des